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Photo du rédacteurFrancis Ginestet

CYCLOTOURISME NÖRDIK

Dernière mise à jour : 10 déc. 2019

- Michel Chadelas -


Eté 2018. De Copenhague au Cap Nord.

Nous voyageons à vélo. Vélo de route avec sacoches devant et derrière, la tente et le couchage

en sac étanche. Popote, feux et provision pour deux jours.

Depuis plusieurs années, à la belle saison, nous repartons. Des plages de Sardaigne aux côtes

escarpées de Norvège, du canal du midi au canal de Gota (Suède), nous pédalons sous le

soleil et dans le vent, parfois la pluie avec une prédilection pour ces magnifiques contrées du

nord de l’Europe où la bicyclette est vraiment « la petite reine ».

A Copenhague, où nous arrivons en mai, il faut récupérer les vélos à l’aéroport. Nous les

retrouvons avec soulagement dans leur grand carton un peu abimé.

Il faut les remonter. Petit à petit les pièces se remettent à leur place les unes après les autres.

Cela devrait fonctionner.

La virée Norvégienne va pouvoir commencer.

Après un hiver de doute, je commence à y croire et l’excitation monte d’un cran. Le sac sur le

dos, un vélo dans chaque main, quelle fierté de passer les portes de l’aéroport sous les yeux

ébahis des autres voyageurs.

Je lis un grand bonheur dans les yeux de Patricia. C’est reparti !

En Norvège, l’étude du relief montre des côtes très escarpées et montagneuses. Nous avions

décidé d’en rester le plus près possible, de longer les fjords et d’en traverser certains en ferry.

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On savait la route rude physiquement d’autant plus que le temps peut se dégrader rapidement.

Mais cela fait partie de notre façon de voyager et si la montée est trop raide, la pluie trop

froide, eh bien on s’arrête, on souffle, on se réchauffe. C’est du cyclotourisme quand même.


Pousser, tirer, la base du cyclisme.

Deux roues, deux pédales, un guidon, un cadre, mon vélo. Et dessus une paire de cuisses,

bras, tête casquée et mes mains posées sur le cintre.

Pousser, tirer, pour la faire avancer cette bicyclette ! Simple, il suffit juste d’appuyer sur la

pédale. Ça marche tout seul ! Pas à réfléchir sur la technique ou la tactique comme dans une

régate. Peu de réglage ou d’option. Non ! Simplement garder son équilibre et pédaler, pédaler,

pédaler.

Ce qui laisse du temps libre au cerveau pour cogiter, sur la vie qui passe, comme le paysage

qui défile lentement devant les yeux.

Apprécier la route, l’effort et le rythme de la respiration libèrent du stress habituel et ramènent

les choses à leur juste valeur. Ma pensée s’envole, mais le vent me ramène à l’instant présent,

à ce nid de poule que je dois éviter. Un écart et c’est la chute, avec ce lourd vélo équipé de

sacoches qui doit bien peser dans les 35 kilos.

La route est dangereuse. Ma pensée s’égare de nouveau - tiens, on pourra aller là, visiter cette

église en bois debout vue sur un guide - ah ! Ce musée d’Oslo quelle merveille ! Mais un

coup de klaxon me ramène à la réalité, je suis au milieu de la route.

Le chauffeur me double avec un signe de la main, même courtois comme peut l’être un

norvégien en voiture, il n’a pas l’air content.


Concentré mais disponible

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Un peu de fatigue après cette montée éprouvante pour mes muscles, je m’arrête. La vue sur

cette baie parsemée d’îles et d’îlots posés sur une mer turquoise me rappelle les Caraïbes. Je

regarde derrière moi pour me souvenir de cette montée tout en lacets, tellement concentré sur

l’effort à fournir que le fameux temps de cerveau libre s’est vraiment rétréci.

En fait, contrairement à la marche qui se pratique dans la nature, le voyage à vélo comme le

nôtre, demande beaucoup d’attention. Voitures, trous, croisements, tunnels. Plus au nord les

rennes qui traversent devant mes roues, arrivant d’on ne sait où.

Régulièrement nous nous arrêtons au milieu de ces magnifiques paysages de fjords, pour

prendre des photos et partager ces moments.

Remonter sur le vélo, récupérer l’équilibre et hop c’est parti ! Le GPS pense pour nous, mais

nous, nous devons penser au quotidien : trouver un supermarché pour les courses du repas, un

camping pour le soir…

Une chose à laquelle nous pensons souvent, au point que cela peut même tourner à

l’obsession quand il pleut et fait froid le matin : l’arrêt Fika, coutume nordique : café, gâteaux.

Et nous repartons.


La morue : une richesse sous surveillance.

La Norvège c’est l’eau, l’eau des fjords, l’eau des lacs, l’eau des fleuves et celles des torrents

qui nous permettent un brin de toilette au bivouac.

Et s’il y a une activité emblématique de ces contrées, c’est la pêche !

Bacalaau, nom que nous avions découvert au Portugal, mais, resterait à savoir quelle en est

l’origine, appelée aussi skrei aux îles Lofoten.

Cette pêche au début était exclusivement norvégienne, puis petit à petit, avec l’évolution des

techniques de navigations, d’autres pays s’y mettent.

Ce qui a entrainé une surpêche et l’effondrement des stocks sauf aux îles Lofoten où le skrei,

cabillaud arctique, a pu se renouveler et même augmenter grâce à une politique de quota

stricte.

Et ce sont les vikings à travers leurs expéditions européennes et asiatiques qui ont emmené ce

poisson dans leur bagage.

Pour moi, ce genre de pêche évoque de longs et rudes mois en mer au large loin de tout.

Aussi, je suis très surpris de voir dans les ports où se pratiquait cette pêche des photos

anciennes montrant de petits bateaux à rames – environs 10 à 15 m de long – avec deux

hommes à bord : des sjarks, péchant les uns à côtés des autres et à deux pas de la côte.

Pas de filets, interdits depuis plusieurs siècles, mais une ligne de plusieurs centaines de mètres

avec des leurres accrochés à des dizaines d’hameçons. Aujourd’hui près de 700 000 tonnes

sont prélevés pendant la saison hivernale, seule autorisée.


Pêcheurs amateurs d’ici et de France.

Aux attentes des ferrys, il n’est pas rare de voir le conducteur sortir de sa voiture avec une

canne à pêche pour tenter sa chance. Pas toujours concluant d’ailleurs.

En allant à leur rencontre, certains nous relatent la vie de leur ancêtre, pêcheur professionnel à

la grande époque. Tout norvégien qui se respecte a un aïeul marin. Nous aurions bien aimé

avoir une canne à pêche, mais à vélo, déjà chargés, pas facile.

Un couple de norvégiens avec qui nous roulions, nous désigne les coins où ils vont pêcher

avec leurs enfants.

Ici, le soleil ne se couche pas en été, on peut donc pratiquer cette activité 24 h sur 24.

Un soir, je vais me coucher et je vois partir une équipe d’allemands, cannes à pêche à la

main, vers le fjord au bord duquel nous avions fait halte.

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Cela me paraissait tard pour partir pêcher. Mais quelle n’a pas été ma surprise de les retrouver

à la cuisine extérieure en train de débiter des filets de deux énormes morues. Il était 2 heures

du matin et plein jour. Bravo !

C’est une activité très réglementée : taille et nombre de poissons limités, période et lieu de

pêche déterminés afin de ne pas vider les côtes et de faire disparaitre… ce tourisme bienvenu.

Nombreux sont les lieux équipés : locations de bateaux et de matériel représentant une source

de revenu non négligeable.

Les tours opérateurs, bien conscients de cet or blanc, vous garantissent une prise.

En Norvège, on peut pêcher dans les fjords, mais aussi dans des centaines de lacs et rivières

où se pressent d’autres pêcheurs.

Au camping de Viggja, c’est un français qui vient depuis 35 ans passer 2 semaines. Lui il

pêche en eau douce, à pied dans les rivières. Il a le droit de ramener un saumon par jour et une

autre prise d’une autre espèce. Le tout congelé au camping et ramené à la maison.

Plus loin une famille de Marseille en camping-car avec deux ados équipés de cannes plutôt

rustique. Ils reviennent chaque jour avec de beaux poissons. Facile, nous disent-ils ! Ils

n’avaient jamais pêché de leur vie. C’est un ami qui connaissant le pays leur avait conseillé ce

matériel rudimentaire.

La canne à pêche fera partie de notre équipement si un jour nous revenons dans ce pays.


Le tunnel de tous les dangers.

Durant la préparation du voyage, nous avions une inconnue : les tunnels. Certains sont très

longs, passent sous la mer et même peuvent être interdits aux vélos. Surtout le dernier, celui

qui devait nous amener sur l’ile de Mageroya où se trouve le Cap Nord but de notre voyage.

Le Nordkapptunelen, 8 kms de long et une descente à 212 mètres sous la mer afin d’atteindre

l’ile de Mageroya sur laquelle se trouve le Cap Nord, but de notre voyage.

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Ce tunnel nous a inquiétés tout l’hiver, car nous n’étions pas sûrs de pouvoir le passer en vélo.

Situé en territoire Lapon, surtout peuplé de rennes, il a mauvaise réputation, par sa situation

au bout du monde sans possibilité d’assistance en cas de problème. Il est peu éclairé, très

froid, et tellement humide que des portes automatiques le ferment pour éviter que l’eau de

ruissellement ne gèle.

Son profil, 3 kilomètres de descente rapide et 4 kms de remontée à 10%. Beaucoup pour nos

lourds vélos. Certains cyclotouristes dorment devant l’entrée pour le passer tôt le matin bien

reposés et sans le flot de cars de touristes trop pressés pour s’occuper de nous.

La journée est belle, ensoleillée et chaude. Face à cette énorme bouche noire qui nous

impressionne, nous reprenons un peu de force, boisson et gâteaux. Une fois partis pas de

demi-tour possible. Il faut se préparer, mettre les polaires, les gants et une veste étanche.

Poser les lumières sur les vélos et les casques et endosser le gilet jaune réfléchissant. Voir et

être vus. Vérifier que tout fonctionne, panne et crevaison interdites.

Et nous voilà partis ! Il va me falloir un peu de temps pour m’habituer à l’obscurité. Ma plus

grosse inquiétude c’est d’être vu, les voitures ralentissent et se déportent. C’est bon, je suis

bien visible. La faible lumière dispensée par quelques néons éclaire à peine la route et ma

lampe frontale se révèle peu efficace. Je descends sur les freins, le vélo très lourd arrive vite à

une vitesse critique sur cette voie peu entretenue et devient difficile à contrôler. Il fait

tellement humide que j’ai l’impression qu’il pleut, ma veste est trempée, je commence à me

geler.

Me voilà au milieu, c’est plat. Je m’arrête un peu afin de déstresser. Le vélo c’est ça, la

vitesse peut entrainer la chute et en montée la fatigue. Faut aimer !

J’attaque la remontée, ma vitesse chute et les voitures s’accumulent derrière moi. Le

norvégien respecte les cyclistes et ne nous considèrent pas comme une gêne. Mais je m’arrête

régulièrement pour laisser passer les camping-cars. Là, j’en ai un qui me suit de très près, trop

même, au moment où il double je dois faire une embardée sur le bas-côté en terre pour ne pas

être accroché. J’ai de la chance certes de ne pas être tombé mais aussi d’être là. Malgré le

bruit des ventilateurs et des voitures qui résonnent dans ce goulet, loin des abris cosy où il fait

bon de boire le café, je ne laisserai pas ma place. Je m’arrête même pour profiter du moment,

le faire durer.

Et ce tunnel je vais le passer.

Ouf ! Dehors !

Après plus d’une heure dans le noir, revoir le soleil, la toundra, les rennes, les oiseaux, sentir

le vent et plus les gaz d’échappement est une sorte de retour à la vie.


Cap sur le Cap Nord

Le dernier camping avant le cap est tenu par un allemand arrivé ici à vélo. Aimable et souriant

il est bien conscient de nos besoins et nous conseille sur l’emplacement de notre tente, à l’abri

d’une de ces petites constructions en forme d’igloo avec barbecue central, pour affronter la

dépression annoncée.

Deux jours après, très tôt le matin, une belle éclaircie au milieu de la brume nous incite à

lever le camp. Il nous reste 26 km avec une côte à 9% pour commencer. De quoi se mettre en

jambe.

Les troupeaux de rennes traversent la route devant nos roues, c’est toujours un moment

d’émotion. Cet animal fait partie intégrante de la vie des lapons fournissant viande, lait, bois

et os à sculpter. La brume s’épaissit de plus en plus, le paysage devient lunaire, nous roulons

au milieu de terres sauvages, d’animaux dans la solitude de cette route de bout du monde. Pas

un seul arbre, que du lichen. Et le choc ! Nous nous retrouvons face à l’entrée payante d’un

énorme office de tourisme avec restaurant et boutique, devant un immense parking, avec bus,

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camping-cars et voitures. 200 000 personnes visiteurs par an. Pour nous cyclotouristes,

félicitations et gratuité des lieux. Nous échangeons notre casquette de cyclo voyageurs contre

celle de touristes, direction photo souvenir devant le globe terrestre, symbole de la pointe la

plus extrême de l’Europe et visite du centre afin de trouver le bureau de poste pour envoyer

nos cartes postales tamponnées du cap Nord.

Le temps se dégrade de plus en plus. La météo nous annonce des pluies fortes pour les

prochaines 24 h et nous prenons la décision de redescendre le même jour au camping pour ne

pas rester bloqués.

Bien nous en a pris la brume de plus en plus épaisse nous roulons rapprochés pour ne pas se

perdre de vue.

L’express côtier l’Hurtiguten nous ramène vers Oslo en navigant au milieu de ces îles et îlots

aperçus de la route. L’occasion pour nous d’évoquer le prochain voyage vers la Baltique,

moins physique et moins chronométré que celui-là.

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