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Photo du rédacteurFrancis Ginestet

L’ORANGER VOLANT

Dernière mise à jour : 10 déc. 2019

- Dominique Sarrazy -


Agile comme une chatte sauvage, je grimpe dans cet oranger tortueux et m’y installe pendant des heures, dès que je peux m’éclipser de la villa. C’est mon refuge, mon royaume secret. Je suis en avion, aux commandes, je survole.

Importée en Algérie entre cinq ans et demi et huit ans, ballottée dans les garnisons des replis militaires successifs, je profite des intervalles de temps inégaux entre l’école, les repas et les nuits pour m’évader à ma façon, en hauteur.

Nous sommes à Duvivier : une étape plus sereine que d’autres, un îlot avec jardin, avant de filer plus loin, et suivre sans comprendre l’itinéraire chaotique des grands qui accompagnent la guerre jusqu’aux aux portes des gourbis.

Moi, à l’ombre, entre les branches qui m’égratignent, au milieu des petites feuilles odorantes, je me cale et ne bouge plus.

Personne ne sait que je suis là.

J’observe les alentours, me fonds dans le feuillage : je suis heureuse.

Seule, cachée dans mon poste de pilotage, je voyage et me raconte des histoires.

Je rêve, somnole, m’invente : aventurière, voilà qui j’aimerais devenir ….

Quand soudain, des voix me parviennent : on me cherche, on m’appelle… je ne réponds pas tout de suite…

D’abord descendre discrètement, prestement, puis arriver tranquillement par l’allée du jardin, comme si je venais d’en bas, comme tout le monde.

« Tu pourrais répondre, où étais tu encore ? »

Ma mère, vaguement inquiète mesure le fossé qui se creuse avec sa fille aînée de plus en plus rebelle, garçon manqué, bien loin des images de petite fille modèle qu’elle avait entrevues.

De ces quelques souvenirs algériens, il me reste la sensation flottante d’être insouciante, enfant libre, pas encore dressée, comme disait mon père.

Ce mot m’inquiétait : étais-je un animal à domestiquer, un objet à planter droit pour qu’il tienne bon, une plante à tuteurer pour qu’elle fructifie ?

Un peu tout cela à la fois sans doute.

Bien malgré moi, assez vite, j’ai fini par être dressée, et devenir l’aînée docile et responsable que mes parents espéraient.

J’ai quitté mes rêves de pilote d’oranger, j’ai oublié de m’envoler.

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