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Photo du rédacteurFrancis Ginestet

L'arbre au nid (Bernard Mollet)


C'était le printemps. Pas un de ces printemps pâlichons que l'on nous sert trop souvent depuis quelques années, et qui nous apportent de l'eau encore et toujours, ou des restes d'hiver effilochés mais encore si froids, non, ce printemps-là, c'était un vrai de vrai, avec du soleil et du bleu en haut et du vert en bas et des filles qui commençaient à raccourcir leurs vêtements de tous les côtés.

Et en plus, c'était un mercredi.

Un vrai mercredi de vrai printemps, çà n'arrive pas tous les jours, alors Noël était bien décidé à en profiter, à en tirer tout le bonheur jusqu'à la moindre seconde.

Il s'élança dehors à peine sa dernière cuillère de céréales avalée, et ce n'est qu'en arrivant sur la pelouse devant la maison qu'il se rendit compte qu'en fait, il ne savait pas quoi faire, ni avec qui, cela lui arriva d'un coup et l'arrêta sur place.

Il habitait à plus de trois kilomètres du village, là où le gros du bataillon de ses copains vivait, et son père avait justement choisi de partir depuis deux jours avec la voiture dans un quelconque salon de je ne sais quoi je ne sais où, à croire qu'il l'avait fait exprès pour l'empêcher de profiter de ce magnifique mercredi de printemps.

Y aller en vélo ou à pied, pas question de même évoquer la question auprès de sa mère, depuis que sur cette route départementale jadis si tranquille une multitude de voitures passaient et repassaient pour un oui et pour un non, pour un paquet de cigarettes ou un pain, pour ravitailler l'épicerie ou pour y faire des emplettes, et même certains pour le simple plaisir de faire un tour en voiture.

Après avoir fait cent mille tours de bicyclette en aller et retour sur le chemin jusqu'à la barrière, y avoir gravi des planches appuyées à des cailloux, inventé des itinéraires tout en courbes, s'être imaginé trois fois au Tour de France et vainqueur, avoir placé des plaquettes de bois près des rayons pour imiter le bruit du vélomoteur qu'il rêve d'avoir un jour, s'être étalé de tout son long après avoir fait une magnifique culbute par-dessus le guidon, Noël en eut assez.

Il chercha alors du côté du cabanon à outils, farfouillant dans un vieux coffre de bois mais n'y trouvant rien à se mettre sous la main pour démarrer une aventure digne d'un si beau mercredi de printemps.

Rien qui en vaille vraiment la peine !

Cette pelle, peut-être, pour aller dénicher un trésor enfoui par-là par un pirate ?

Mais qu'est-ce que serait venu faire un pirate ici en montagne, à 100 kilomètres de la mer la plus proche ?

Non, tiens, voyons plutôt cette grande échelle de bois qui date du grand-père, fort bien faite ma foi, dans un bois dur qui a résisté aux années, avec une grâce certaine, un élancement, dû à un rétrécissement de la base au sommet du plus bel effet !

Que pouvait-il donc faire avec cette échelle qui l'inspirait assez ?

Tiens, l'an dernier, papa avait installé des nichoirs vers le plus haut du tronc des trois pins voisins de la maison.

C'est même lui qui l'avait aidé à les fabriquer : sept planchettes, dont une percée d'un trou bien régulier qu'il avait été chargé de passer au papier de verre afin qu'aucune écharde ne vienne blesser un oiseau.

Tout cela assemblé et collé de main de maître par papa, une baguette faisant saillie sous le trou, les deux dernières planchettes en forme de toit, une équerre solide par-dessous pour la fixer à l'arbre, et le tour était joué...

Bien malins les matous qui auraient pu aller chasser là-haut le pinson suicidaire, le moineau insouciant ou la mésange distraite !

Voilà ce que je vais faire, se dit Noël.

Aller voir là-haut si les oisillons qui y sont, il en est certain, ressemblent réellement à ces photos vues dans le livre des animaux de la bibliothèque de l'école, des espèces de becs grands ouverts perchés sur des petits corps d'extra-terrestres, bizarreries nues et pourvues de deux embryons de semblant de début d'aile.

Il sait qu'un au moins des nichoirs est occupé, car il a surpris, il y a peu, le manège d'une mésange à tête noire, venue piquer à petits coups de bec et en maints voyages des petites touffes de laine dans la vieille couverture abandonnée sur une chaise longue de la terrasse. Cette mésange, à moins que ce ne soit pas toujours la même, est repartie en garnir un des nids, et depuis il a pu voir les oiseaux sortir du nid en balle de fusil, d'un coup, sans même s'arrêter sur le bord du trou d'entrée.

Pour revenir, en revanche, la mésange, pourvue d'une magnifique tête noire, procède par étape, se pose d'abord sur une branche voisine pour scruter les environs, refait une halte inquiète sur le perchoir, puis s'engage prudemment dans le nichoir bec en avant, garni d'un papillon, d'une sauterelle, d'un petit ver...

Noël sait donc que, dans une au moins de ces maisonnettes, la famille est au complet, affamée, piaillante, grouillante, impossible à rassasier, marchant sur les autres petits de la nichée pour passer en premier à la distribution.

Et Noël, avec pas mal d'efforts, va décrocher l'échelle, la place tant bien que mal et de façon assez instable contre le premier des troncs, et, tout en montant échelon par échelon d'une jambe tremblotante à cause du vertige, mais attiré quand même par cette curiosité inassouvie, il entend des " Tchip-tchip-tchip " qui l'encouragent dans son entreprise.

Mais est-ce dans ce nid, ou dans celui de l'arbre voisin ?

Le voici presque arrivé au niveau du trou.

Vite, il veut jeter un coup d’œil, il approche doucement la tête de l’orifice pour faire en quelque sorte le point, s'habituer à l'obscurité relative qui règne dans l'abri. Encore un peu, un peu plus près, plus près...

Et soudainement, une mésange, aussi effrayée que Noël, sort d'un coup du trou au nez du curieux qui, surpris, recule instinctivement la tête avec brusquerie, ce qui déséquilibre l'échelle qui n'attendait que çà, et qui commence à glisser sur le côté, doucement, mais sans s'arrêter, avec une lenteur digne d'un ralenti de cinéma.

Noël a eu comme seule réaction de serrer de toutes ses forces le barreau de l'échelle dans ses petites mains et de plaquer son corps contre elle, tétanisé, paralysé par la peur.

Et son perchoir glisse encore, encore... et s'arrête d'un coup, coincé par la branche la plus basse et la plus épaisse de l'arbre voisin.

L'enfant, qui a les yeux fermés, met un certain temps avant d'y croire : quoi ?

Il ne serait donc pas tombé ? Il ouvre les yeux, reprend doucement ses esprits, calcule au millimètre près le moindre de ses mouvements et entreprend de descendre avec une lenteur dictée par la peur et mille précautions dignes d'un acrobate.

Il met pied à terre et s'effondre brusquement, les jambes l'ayant littéralement lâché. Noël pleure un peu, tremble beaucoup, puis cela passe et il part ramener l'échelle en catimini, se promettant de n'en parler à personne, et surtout pas à sa mère, qui serait capable de lui faire payer une frayeur rétrospective par une magnifique paire de claques.

Et d'un coup, il prend conscience de la catastrophe à laquelle il vient d'échapper.

Il se fait alors une promesse solennelle, il prend une décision importante qui va le guider toute sa vie, il fait le serment de ne pas en démordre, le vœu de ne pas revenir sur sa parole.

Jamais, jamais, il est prêt à le jurer, jamais il ne sera pompier !

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